Tête-à-tête avec Nicolas Herbé
Nicolas Herbé est un artiste originaire de la Provence. Profondément imprégné par la street culture, ses œuvres se caractérisent par une calligraphie abstraite et expressive, où lettre et mouvement fusionnent.
Comment en es-tu venu au street art ?
J’ai toujours fait de l’art de rue, que ce soit pictural, musical, du breakdance ou du skate. J’ai commencé dès le collège, vers 12 ans, à Trets. J’ai grandi au milieu de gens qui faisaient du graffiti. Dans ces années-là, c’était tout nouveau. On a tous essayé le « tag », comme on
disait à l’époque.
J’ai toujours dessiné. Ma maman peignait et m’emmenait voir des expositions.
La branche urbaine de mon univers artistique est liée au mélange de tout ça. Le graffiti me plaisait mais c’est plus global que ça, c’est toute la peinture en général qui m’intéresse. J’ai toujours gardé le dessin dans ma vie, même pendant mes études hôtelières et ma carrière dans la cuisine. Je suis arrivé petit à petit à vivre de mon art, sans même savoir que c’était la chose la plus importante pour
moi.
Quelles sont tes influences ?
Paul Cézanne m’a beaucoup marqué. Avant d’être inspiré par lui, j’étais inspiré par ses paysages. J’ai vécu de mes 6 ans à mes 30 ans en face de la Sainte-Victoire. Je la voyais tous les jours. Il y a l’amour de notre pays et des couleurs de nos paysages au travers des différentes saisons, violet-bleu en été, rouge en automne, etc. J’aime chez ce peintre sa volonté de sortir du code et de faire quelque chose de non conventionnel.
Ce qui m’inspire au quotidien, c’est le parcours des artistes, la poésie de leur mode de vie ; comme la démarche du peintre Georges Mathieu, qu’il poétise beaucoup.
J’aime la couleur et la graduation de Claude Monet, avec le côté estompé de ses pastels.
J’ai toujours eu un trait abstrait et street. J’ai découvert plus tard les artistes dans la même veine comme Joan Mitchell et Jackson Pollock.
Nous sommes des professionnels de l’art, qui vivons de l’art. Être artiste, c’est prendre un risque, provoquer sa chance, c’est être libre de faire ça.

Comment abordes-tu tes œuvres ?
Je ne peins pas pour peindre. Je vais peindre quand je sens le meilleur moment. C’est l’intention qui compte, entre la matière physique et spirituelle. Je vais avoir une envie d’aborder une couleur et/ou un sujet et c’est là que je mets en place mon processus. Il y a d’abord l’intention, puis je suis les étapes d’élaboration de mes médiums.
J’écoute de la musique. Je réalise mes fonds et je respecte les étapes de séchage. Je sélectionne des couleurs ; il arrive que je délaisse finalement des couleurs que j’avais initialement choisi. Le trait et le mouvement, c’est le moment où je réfléchis le moins.
La toile et le trait deviennent le sujet principal. C’est l’instant où je crée la fréquence. La dernière étape, ce n’est pas le trait, c’est le vernis puis il y a le mot de la fin avec l’encadrement.
Je cherche à créer une connexion avec ceux qui regardent le travail, ceux qui n’ont pas les codes, grâce à l’intention de la toile. J’écris une passerelle. Le sujet non représentatif, c’est un choix. Par le canal calligraphique, je pousse les gens à ressentir quelque chose. C’est un lien entre moi, la toile et les gens, comme une trinité.
Le mouvement et le trait me font du bien à moi. Inconsciemment, mon travail est lié à la personne que je suis. Chaque toile est une performance. Je canalise mes émotions en créant une passerelle qui est la toile. Les gens décident ou non de prendre ce pont pour venir à ma rencontre.
Tu parles de lumière dans tes œuvres, peux-tu nous en dire plus ?
Je parle de lumière physique et spirituelle. Je prends les choses de manière holistique.
J’aime la couleur, même si j’ai fait des noir et blanc qui m’ont transporté. Je me suis rendu compte que c’est la lumière qui m’importe. J’aime travailler dans un environnement bien éclairé pour voir et travailler les nuances ainsi que la matière car la lumière peut venir s’y cacher. Je fais de la place à la lumière.

90 x 63 cm
Qu’est-ce qui te plaît le plus dans la pratique de rue et celle d’atelier ?
Ce sont deux choses complétement différentes.
À l’atelier, tu as créé ta bulle, ton espace. Tu as tous tes artefacts pour te donner la force et l’inspiration. Tu crées un monde dans lequel la toile née dans sa maison.
En extérieur, tu puises dans ce que tu trouves dans le moment, l’énergie, les gens ou dans la technique. Ça donne des différences visibles entre cette imprégnation en extérieur et le travail d’atelier. Quand tu fais une fresque, les gens ne partent pas avec. Il y a un ancrage qui se crée.
Sortir de l’atelier et respecter le lieu, c’est hyper inspirant pour la suite.
Sens-tu une évolution dans ton style, tes techniques, ton approche ?
Il y a une évolution dans ma manière de verbaliser mon travail. Mon parcours s’est professionnalisé. C’est dans mon atelier que je crée mon histoire, que je vais à la rencontre d’échecs dans la création et que j’améliore mon geste. C’est un entraînement au quotidien avec mon trait. J’ai pris confiance dans mon travail, ce qui amène de la légitimité et ça c’est important.
Je cherche la rencontre et la connexion avec les gens. Je fais évoluer ce lien entre mon travail, mon histoire et ma relation avec les autres.
Quels sont les messages que tu souhaites transmettre à travers tes œuvres ?
Le seul message : arrêter de lire et de se positionner par rapport à des choses représentatives. C’est qui je suis et ma connexion avec les autres.
En ce moment, sur quoi travailles-tu ? Envisages-tu d’explorer de nouvelles voies ?
Mon ancrage sur mes inspirations du quotidien et artistiques, dans la rue et dans mon atelier, a donné naissance à un projet en 3D avec mes compressions « Heartéfacts ». À travers, il y a un message de société concernant l’accumulation, les traces, la transmission.
